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28 novembre 2011

Il faut que les mots sortent. Michel est décédé

Il faut que les mots sortent.

Michel est décédé il y a presque 6 mois. J’ai perdu mon beau-père là ou d’autres ont perdu un mari, un père, un grand-père.

Je me souviens.

Je me souviens du message que mon mari m’a laissé sur mon portable un mardi après-midi. J’étais en classe, ça sentait bon la fin de l’année scolaire, il faisait beau. Il devait être 15 h 30, 16 heures. J’avais peu d’élèves. Nous devions sortir ce soir-là entre collègues. Le message disait que Michel avait fait un malaise, suivi d’une chute, qu’il s’était fracturé une jambe, qu’il avait une hémorragie cérébrale, qu’il était conscient. Je ne pourrais pas vous dire, l’effet de ces quelques mots. Je crois que j’ai su à ce moment-là que c’était grave malgré les mots qui se voulaient rassurants.

J’ai laissé mes élèves en surveillance, à une collègue. Je suis descendue au bureau. J’ai parlé avec Odile, ma directrice…j’ai versé mes premières larmes de peur. Je suis remontée. J’ai séché mes larmes, enfoui mes yeux rougis.  16 h 30 a sonné…j’ai annulé le repas du soir, pas simple de répéter les mêmes faits aux collègues. J’ai récupéré les enfants.

Il était prévu que mon mari ne rentre pas, qu’il reste avec sa mère. Entre temps, mon beau père avait été transféré à Créteil…il était tombé dans le coma. J’ai annoncé aux enfants que leur grand-père était malade, que c’était grave, que l’on attendait les résultats des examens.

J’ai annulé l’anniversaire de fiston prévu le lendemain.

J’ai dû planifier de retourner à l’école le lendemain matin, pour récupérer mes dernières affaires, j’ai dû prévenir ma mère que je lui confierais les enfants mercredi.

Le téléphone a sonné dans la soirée. Un message, des pleurs…pour dire qu’il n’y avait plus d’espoir que l’on attendait juste la fin, que l’hémorragie ne laissait plus de place pour la conscience.

Ce sentiment douloureux, d’être loin de l’homme que l’on aime alors qu’on aimerait être juste à côté.

Les souvenirs des jours suivants sont un peu confus. Je me souviens des coups de téléphone passés pour prévenir des amis de Michel et Elda, pour prévenir quelques-uns de nos amis aussi.

Je ne me souviens pas de mes « retrouvailles »avec mon cher et tendre…je pense que les larmes ont tout brouillé. Je pense que ma présence, que ma tendresse ne l'aidait pas à surmonter.

Je me souviens de l’après-midi passée à l’hôpital. Je me souviens de ce dernier contact avec Michel…il n’était déjà plus là…ce n’était déjà plus lui. Je me souviens d’autres détails, de petites choses.

Je me souviens de l’attente d’un coup de téléphone de l’hôpital. Je me souviens de Christian qui n’osait pas faire face à ses enfants de peur de craquer devant eux. Je me souviens de la seule personne qui m’ait demandé comment j’allais, je me souviens de la décision qu’ils ont prise le lendemain après-midi une fois la mort cérébrale annoncée. Je me souviens que nous nous sommes dits que nous garderions secret ce choix du don d’organes vis-à-vis des enfants. J’avais ce besoin, de leur dire le soir, en rentrant que leur grand-père était mort et pas qu’il était encore maintenu en vie quelques heures… j’avais besoin de savoir que c’était fini.

Les jours qui ont suivi, se mélangent entre les allers retours, les démarches qu’ils ont eu à effectuer, les enfants à récupérer à la sortie de l’école, les derniers jours de classe que je n’ai pas fait.

De l’enterrement, je garde cette peur, cette crainte de ne pas arriver à faire face. Cette volonté déjà de ne pas craquer, d’être forte pour les autres, parce que non, je n’avais, dans ma tête pas le droit de craquer. Parce que moi, je n’avais pas perdu mon père, mon mari ou grand-père. Alors, je devais faire face. Quand Florence, ma nièce a craqué à la lecture du premier texte, j’ai su qu’il fallait que je me lève, que je prenne le micro, que je la remplace  le temps qu’elle reprenne ses esprits, que si personne ne prenait sa place, alors les larmes envahiraient tout. Je me suis levée sans presque réfléchir, rejoint par Fabien mon beau-frère. J’ai entendu ma voix lire les premiers mots. Elle me paraissait claire, limpide, comme si elle sortait de moi sans que je sois vraiment là. J’ai su à cet instant précis que je ferais face.

Du cimetière, je garde un bruit…le bruit de la rose qui tombe sur le cercueil. De cette impression que mes jambes ne me tiendront pas, cette impression de vertige. Je me souviens des gestes de réconfort de Fabien. Je me souviens que j'aurais aimé trouver des bras, des bras plus forts que moi qui me serrent et où je puisse tout évacuer.

Lors des jours qui ont suivi, des mois qui ont suivis, je sais que je me suis répétée la même chose. Etre là, être forte, être le pilier.

J’ai eu besoin de cette coupure de trois semaines, loin de tout cela. De ce moment d’égoïsme, que je percevais comme la seule façon de reprendre des forces et puis  j’avais besoin de regarder devant, de rire, de sourire comme si de rien n’était, presque d’oublier en somme. Je suis partie 3 semaines dans le sud avec ma fille, à côté de chez ma sœur. J’ai retissé des liens avec elle. J’ai souri, j’ai ri, j’ai passé de si bons moments auprès d’elle, de sa famille et de ma grand-mère.

Jusqu’à cette fameuse soirée où j’ai téléphoné sans relâche à ma grand-mère. Jusqu’à cette fameuse soirée où les pompiers sont venus défoncer la porte. Je me souviens que ma fille était là. Que je ne voulais pas lui laisser percevoir mes angoisses. J’ai été soulagée qu’elle parte avec Jean-Marc.

Je me rappelle de l’arrivée des pompiers, je me rappelle de celui qui m’a dit : « Ne restez pas là madame. »

Je me souviens, de l’odeur, de ce premier regard vers elle. Je me souviens de l’errance dans le salon en attendant que les pompiers l’évacuent. Je me souviens du camion que nous avons suivi avec ma sœur dans la nuit. Je me souviens de son arrêt sur un rond-point, de tout ce que nous avons pensé à ce moment-là : ce n’était pas bon signe. Quand nous sommes arrivées à l’hôpital, nous nous attendions presque à ce qu’ils nous disent qu’ils avaient fait leur maximum…

Non, ils l’ont emmenée. Nous avons attendu. Je me souviens du bruit de sa respiration. Je me souviens de l’attente dans les couloirs, de ce patient plus qu’impatient qui râlait parce qu’il avait mal à la jambe et que personne n’était là pour lui. De cette envie de lui dire de fermer sa tronche une bonne fois pour toute et de penser aux autres.

Je me souviens du premier médecin que nous avons vu. De son pessimisme de circonstance, de ses premiers mots, de ses premières questions pas très claires.

Je me souviens de tellement de choses que j’ai déjà racontées ici.

Il me reste un souvenir frappant, plutôt un ressenti. Ma sœur était là. Nous partagions notre douleur. Mais il me manquait quelqu’un à qui parler. Il me manquait à cet instant, des bras, pour me dire que tout allait s’arranger que tout irait mieux.

J’ai pleuré. J’ai été soulagé et meurtrie. J’ai encore pleuré. La mort n’est pas venue. On pourrait croire que cela suffirait à effacer tous ces souvenirs d’un seul coup. Mais non.

J’ai eu pendant ces quelques jours de douleur un besoin impérieux de parler, d’écrire à défaut de dire.

Je parlais au téléphone avec mon mari, je racontais ici, j’envoyais des mails…je vidais quelques pierres de mon sac.

Mais le soir, seule dans la chambre que je partageais avec ma fille, je pleurais tout ce qu’il pouvait me rester à pleurer en silence pour toujours faire face.

Lorsque mon père est revenu de Sardaigne avec mon fils, j’aurais aimé pouvoir lui parler. Mais vu les relations qu’il entretenait avec ma grand-mère, j’ai juste trouvé porte close. Ces événements sont restés comme un secret enfoui. On peut dire que sa grand-mère a eu un accident, qu’elle a été hospitalisée, mais pas qu’elle s’est suicidée. C’est juste politiquement incorrect. Si je lui avais dit, il aurait, je le sais, trouvé une phrase désagréable qui m’aurait fait encore plus souffrir. Quelque chose du genre : telle mère telle fille. Alors j’ai gardé pour moi, une fois de plus.

J’aurais aimé aussi que ma mère arrive plus tôt. Qu’elle soit auprès de nous dans les moments les plus difficiles. Mais non … J’ai eu cette impression de voir une réalité qu’elle ne voyait pas.

Et je suis revenue chez moi. Et je n’ai plus parlé de ces moments même si je n’arrive pas à les évacuer.

Je crois que je n’en parle pas parce qu’elle est toujours de ce monde. Elle, elle est encore là. Alors tous ces pleurs, tout ce qui me reste, ça n’a aucun sens. C’est un peu comme si je m’interdisais d’en dire plus car je ne peux que m’estimer heureuse de cette fin.

Alors je me tais. Une fois de plus.

Je reviens sur les mots que je viens d’écrire quelques lignes plus haut. Je ne peux pas  en dire plus. J’ai déjà tout dit, tout écrit… mais c’est toujours là. Je n’arrive pas à m’arracher ses mots de ma tête. Son aveu tourne en rond.

J’aurais voulu les premières heures qu’elle soit morte. Je me souviens même de l’avoir écrit. J’aurais voulu qu’elle arrive à ses fins, qu’elle soit enfin soulagée. Aujourd’hui, je me rends compte que ce n’était pas la meilleure solution. Je crois qu’elle va mieux. Mais tout cela n’est peut-être qu’une illusion. Je croyais aussi qu’elle allait bien. La veille de son suicide nous avions passé une agréable soirée tous ensemble… Elle savait qu’elle passerait à l’acte. Peut-être pas ce jour-là précisément,  mais elle savait qu’elle le ferait.

Tous ces mots alignés, ces pages noircies, pourquoi ? Pour dire et redire ce que j’ai déjà dit. Pour m’octroyer le droit de pleurer. Pour que je puisse juste me dire, que oui, j’ai aussi le droit de lâcher prise.

J’ai écrit une note, il y a quelques jours pour dire que mes larmes avaient coulé en silence le soir dans mon lit. Je l’ai écrite. Je ne l’ai pas publiée. Je ne voulais que mon mari la lise, qu’il devine ma  tristesse. Les fêtes ne sont pas les moments les plus faciles ni pour lui, ni pour les autres membres de sa famille. Je ne pouvais pas avouer ma faiblesse.

Pourtant, j’ai senti hier qu’il fallait que ça sorte. Nous avons pleuré de concert…l’un plus que l’autre. Je me sens à fleur de peau. Comme un vase dont l’eau affleure et qui risque de se renverser à tout instant.

Je tiens mon cap, mais je lâche un peu…doucement mais sûrement.

Je souris, je ris parce que je sais aussi que la vie continue et qu’il faut aller de l’avant. Que Michel n’aurait pas aimé ce qu’il voit en ce moment, qu’il ne voudrait pas ça. Moi, j’arrive à me souvenir des belles choses sans pleurer. J’y arrive parce que le manque que je ressens n’est pas le même que celui des autres. 

Mon mari ne veut pas fêter la nouvelle année. Moi je voudrais tellement tirer un trait sur ces 6 derniers mois, clore cette putain d’année 2011, aller de l’avant.

Oublier est un vain mot. On n’oublie rien. On se souviendra encore dans 1 an, dans 2 ans, dans 10 ans…c’est juste que le manque ne sera plus le même, que la souffrance se sera estompée. 

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